Du clan à la chambre à deux

Du clan à la chambre à deux

Le 06/08/2025

L’évolution du couple à travers les âges et les cultures

Avant d’être un projet de vie à deux, le couple fut tour à tour rituel, communautaire, stratégique ou symbolique.
À travers ce voyage dans le temps et les civilisations, découvrons comment les liens amoureux et sexuels ont été perçus, codifiés, ou totalement réinventés.
Un éclairage passionnant pour questionner nos modèles d’aujourd’hui… et peut-être en inventer de nouveaux.


À la Préhistoire : pas de couple, mais un groupe
(−2 500 000 à −10 000 av. J.-C.)
Durant le Paléolithique, les sociétés humaines sont essentiellement nomades, organisées en petits groupes. On n’observe pas de structure conjugale durable.

  • La sexualité est partagée et non liée à un couple exclusif.
  • Le groupe assure l’éducation des enfants. La filiation paternelle est inconnue ou secondaire.
  • Le lien mère-enfant est central, mais le couple amoureux n'existe pas.

L’anthropologue Maurice Godelier ou Christophe Darmangeat évoquent des sociétés égalitaires sans domination masculine ni cellule conjugale définie.


En Égypte ancienne : mariage et affection coexistent
(−3 000 à −30 av. J.-C.)
Le mariage est souvent contracté entre proches (frères/sœurs, cousins).
Des lettres et poèmes témoignent de relations affectueuses.
Les femmes pouvaient divorcer, posséder des biens, et avaient parfois plus de droits qu’en Grèce ou à Rome.

Peu de sources explicites, mais certaines hypothèses basées sur l’iconographie et les rites funéraires suggèrent des liens amoureux entre hommes.

Exemple : De nombreux papyrus montrent des hommes parlant de leur femme comme "leur sœur de cœur". Niankhkhnum et Khnumhotep, deux hommes enterrés ensemble dans une tombe commune à Saqqarah, dans des postures semblables à celles des couples hétéros mariés.


En Grèce antique : un mariage utilitaire, plusieurs femmes pour plusieurs fonctions
(−800 à −146 av. J.-C.)
Le mariage a une fonction politique et reproductive. L’amour est ailleurs.

  • L’épouse est choisie jeune, vit recluse, et doit assurer des héritiers légitimes.
  • La concubine (pallakè) est parfois chargée des besoins sexuels réguliers.
  • La hétaïre, souvent éduquée, accompagne les hommes dans la jouissance, la pensée, les arts, et l’érotisme.
  • Les relations entre hommes, notamment entre un adulte et un jeune garçon (éraste et éromène), faisaient partie de l’éducation aristocratique.
  • L’amour entre hommes était chanté par les poètes (Anacréon, Théocrite) et pratiqué par des figures célèbres comme Alexandre le Grand.
    Ces pratiques étaient codifiées, masculines, souvent inégalitaires. L’homosexualité féminine était moins visible, mais Sappho en est une figure emblématique, poétesse lesbienne de l’île de Lesbos.

Exemple : Périclès, homme politique influent, est marié mais vit avec Aspasie, célèbre hétaïre d’Athènes.


En Chine ancienne : couple, harmonie et taoïsme
(−500 av. J.-C. à 220 ap. J.-C.)
Dans la tradition chinoise, le couple s’inscrit dans une logique de complémentarité.

  • Le Yin (principe féminin) et le Yang (principe masculin) symbolisent l’équilibre fondamental.
  • Le mariage est un acte social, spirituel et cosmique.
  • La sexualité taoïste est perçue comme un échange d’énergies vitales (qi).
  • Les relations entre hommes étaient courantes et parfois valorisées à la cour impériale. Plusieurs empereurs ont entretenu des relations affectueuses et sexuelles avec leurs favoris (ex. : l’Empereur Ai et Dong Xian).
  • L’expression "la passion du lièvre partagé" désigne des relations homo-affectives dans la littérature classique.

Exemple : Les textes taoïstes de la dynastie Han recommandent certaines pratiques sexuelles comme outils d’équilibre énergétique.


Inde ancienne : spiritualité et érotisme combinés
(−400 av. J.-C. à +400 ap. J.-C.)

  • Le Kama Sutra est un guide de vie harmonieuse.
  • Le couple est une voie d’éveil. L’érotisme est sacré.
  • Les textes sanskrits, dont le Kama Sutra, mentionnent explicitement des relations entre hommes, actes oraux, et désirs multiples.
  • Les divinités hindoues incarnent souvent des formes multiples, transgenres, ou bisexuelles (ex. : Ardhanarishvara, divinité mi-homme mi-femme
  • Le genre et la sexualité étaient perçus comme expressions sacrées de la diversité cosmique, bien avant leur répression sous la colonisation britannique.

Exemple : Le roi Satakarni aurait entretenu plusieurs relations harmonieuses codifiées selon les règles du Dharma.


Peuples nomades d’Asie centrale : pragmatisme et autonomie féminine
(Xe au XIIIe siècle)
Chez les Mongols, le couple est un accord d’alliance souple et stratégique.
Les femmes avaient souvent plus d’autonomie que dans l’Europe médiévale.

Exemple : Töregene, veuve du fils de Gengis Khan, gouverna un empire entier.


Moyen Âge chrétien : mariage sacré et sexualité pécheresse
(Ve au XVe siècle)
L’Église fait du mariage un sacrement indissoluble.
La sexualité est encadrée, le plaisir suspect.

Exemple : Abélard et Héloïse, un amour interdit devenu légendaire.


Chez les Incas : mariage officiel et pluralité de femmes
(XIIIe au XVIe siècle)
Le Sapa Inca épouse sa sœur pour conserver le sang royal pur.
Il a aussi de nombreuses femmes pour raisons politiques.

La vision dominante était patriarcale et reproductive, mais des vestiges archéologiques et textes espagnols mentionnent des relations entre hommes dans les cercles royaux.
L’arrivée des conquistadors a entraîné une répression sévère, assimilant l’homosexualité à de la sorcellerie ou à un crime contre Dieu.

Exemple : L’Inca Pachacutec aurait eu des dizaines de femmes dans des alliances stratégiques.
Des temples dédiés à la dualité sexuelle existent, et certains chroniqueurs évoquent des “hommes efféminés” respectés dans les castes religieuses.


Afrique précoloniale : diversité, spiritualité et effacement colonial
(Avant le XVe siècle jusqu’au XIXe siècle)

  • Mariage collectif, flexible
  • Parentalité partagée
  • Union de clans plus que de personnes
  • Dans plusieurs sociétés (notamment bantoues ou dogon), les sexualités étaient vues sous l’angle spirituel et communautaire plus que moral.
  • Des rituels homosexuels étaient intégrés dans certaines initiations masculines.
  • Des femmes pouvaient aussi se marier entre elles pour des raisons symboliques ou économiques (ex. : chez les Igbo au Nigeria, les "femmes-hommes").
  • L’homosexualité n’était pas nommée comme telle, mais intégrée dans un spectre plus large de pratiques rituelles, sociales ou affectives.

Exemple : Chez les Mossis et les Bambaras, chaque épouse gérait son foyer de manière autonome.


Polynésie ancienne : sensualité sacrée et unions symboliques
(Avant le XVIIIe siècle)
Le plaisir sexuel était valorisé. Les mariages pouvaient être temporaires ou rituels.

Les Mahu (à Tahiti, Hawaï) étaient des personnes assignées homme à la naissance mais occupant des rôles féminins.
Elles étaient respectées comme enseignantes spirituelles, éducatrices de l’amour et de la sexualité.
Leur rôle incluait parfois l’initiation des jeunes à la sensualité. Les relations entre personnes de même sexe n’étaient pas taboues, tant qu’elles étaient consenties et harmonieuses.
Le colonisateur occidental, choqué par ces pratiques, a tenté d’effacer ces figures par l’évangélisation et l’imposition de normes hétérosexuelles.

Exemple : Aux îles Marquises, des unions étaient célébrées avant certaines cérémonies.


Tahiti précoloniale : liberté amoureuse et scandale colonial
(Avant 1767 jusqu’au XIXe siècle)
Les femmes pouvaient avoir plusieurs partenaires sans jugement.
La colonisation a imposé la morale européenne et effacé cette liberté.

Exemple : Les missionnaires européens décrivent leur étonnement face à cette société ouverte.


Tribus d’Océanie : unions cycliques et parentalité collective
(XVe–XIXe siècles)
Les unions sont parfois saisonnières.
Les enfants sont élevés collectivement.

Exemple : Chez les Tiwi, les femmes pouvaient se remarier plusieurs fois au cours de leur vie.


Tribus aborigènes d’Australie : sexualité rituelle et liens communautaires
(Depuis plus de 50 000 ans jusqu’à aujourd’hui)
La sexualité est intégrée dans des rites communautaires, sans cellule conjugale figée.

Les données sont plus discrètes, mais certaines recherches anthropologiques indiquent que dans les rites de passage masculins, des relations sexuelles pouvaient exister entre initiés, non comme acte identitaire, mais comme transmission de puissance ou d’esprit ancestral.
Dans plusieurs clans, les rôles genrés pouvaient aussi être souples, avec des femmes occupant des fonctions d’hommes ou inversement, selon les besoins rituels ou communautaires

Exemple : Chez les Yolngu, certaines cérémonies permettent des relations hors couple.


Peuples amérindiens : diversité et liberté relationnelle
(Avant le XVe siècle jusqu’à aujourd’hui)
Les femmes pouvaient choisir leurs partenaires.
Les identités Deux-Esprits étaient reconnues et respectées.

Les Deux-Esprits formaient une catégorie sociale et spirituelle propre à certaines tribus.
Il s’agissait de personnes combinant des caractéristiques masculines et féminines, souvent appelées à devenir guérisseurs, artisans, conseillers, ou chamans.
Leur orientation sexuelle pouvait être homo, hétéro ou bi, mais n’était jamais source d’exclusion. Au contraire, ces personnes étaient valorisées comme détenant un regard unique sur les relations humaines.

Exemple : We’wha, du peuple Zuni, jouait un rôle spirituel et social majeur. Elle est un exemple emblématique : tisseuse, diplomate, et reconnue à Washington comme ambassadrice culturelle.


Le mariage de raison dans l’aristocratie (XVIe–XVIIIe siècles)
Dans la noblesse européenne, le mariage n’était pas un acte d’amour, mais un contrat stratégique pour consolider des alliances politiques ou économiques.
Pendant ce temps, les relations amoureuses et sexuelles se vivaient souvent en dehors du mariage, sous forme d'amants officieux ou de courtisanes.

Le couple public servait à maintenir une image et à produire des héritiers. Le couple privé, amoureux ou charnel, restait caché.


Le libertinage des Lumières (XVIIe–XVIIIe siècles)
Notamment en France, on voit apparaître une philosophie du plaisir libre, avec les salons libertins, les échanges de partenaires, et une dissociation assumée entre amour, sexe, et mariage.

  • L’exclusivité n’est plus un impératif dans certains cercles sociaux.
  • Des liaisons libres et intellectuelles se forment autour d’une recherche du plaisir et de la connaissance.

Exemple : Le Marquis de Sade ou les œuvres de Choderlos de Laclos témoignent de ces pratiques.

Échanges, salons, et plaisir libre.


Les ménages à trois discrets (XVIIe–XIXe siècles)
Bien que tabous, de nombreux ménages à trois ont existé dans les faits : un couple marié et un(e) amant(e) officiellement « toléré(e) ».
Parfois, ce troisième élément faisait partie du foyer comme précepteur·ice, domestique, ami·e proche…

Ce n’était pas nommé comme « trouple », mais des formes d’amour triangulaires ont existé bien avant la reconnaissance actuelle.


Les unions illégales mais stables (XVIIe–XIXe siècles)

En parallèle du mariage religieux ou civil, on trouvait des couples :

  • unis par coutume ou promesse mutuelle,
  • interdits légalement (par exemple entre classes sociales, religions ou genres),
  • mais qui vivaient ensemble et étaient reconnus par leur communauté locale.

Exemple : Des unions entre esclaves ou entre servantes et ouvriers, sans droit officiel, mais socialement assumées.

Couples sans droits, mais reconnus localement.


Les amitiés passionnées féminines (XVIIe–XIXe siècles)

Chez les femmes, notamment en milieu bourgeois ou intellectuel, ont existé des amitiés fusionnelles et sensuelles, parfois qualifiées de romantic friendships dans le monde anglo-saxon.

Certaines laissent penser à des relations amoureuses ou conjugales non nommées.

Exemple : Sarah Ponsonby et Eleanor Butler, dites « les Dames de Llangollen », ont vécu ensemble plus de 50 ans au Pays de Galles, dans une relation respectée mais jamais nommée « couple ».
Des amours entre femmes dans l’ombre de l’Histoire.


Aujourd’hui : fusion des fonctions, explosion des formes
Depuis le XVIIIe siècle, on attend du couple qu’il remplisse toutes les fonctions : amour, sexe, amitié, cohabitation, parentalité, spiritualité, sécurité...

Un modèle exigeant, parfois écrasant, qui pousse à l’explosion des formes :
- Couples ouverts, polyamour, LAT ‘living apart together’, relations libres ou conscientes.
- Déconstruction des normes hétérocentrées et monogames.

Les nouvelles formes relationnelles

Couples ouverts

Un couple ouvert est une relation dans laquelle les partenaires s’accordent la possibilité d’avoir des relations sexuelles (et parfois affectives) avec d’autres personnes, tout en maintenant leur engagement l’un envers l’autre.
Il repose sur :

  • le consentement mutuel,
  • une communication transparente,
  • souvent des limites définies ensemble (ex. : pas d’amis communs, pas de nuitée, etc.).


Ce modèle distingue l’amour durable de la liberté sexuelle, sans les opposer.


Polyamour

Le polyamour désigne la capacité à aimer plusieurs personnes à la fois, avec leur consentement, et dans une logique de sincérité et de transparence.
Contrairement à la relation libre ou au couple ouvert, il s’agit souvent de relations affectives multiples, pouvant être :

  • simultanées,
  • hiérarchisées ou non (ex. : partenaire principal·e vs. secondaires),
  • co-construites dans le respect de tous.

Exemple : une personne peut vivre une relation de vie commune avec un·e partenaire, tout en entretenant une relation amoureuse suivie avec une autre personne vivant ailleurs.


Trouples
Un trouple est une relation amoureuse (et/ou sexuelle) entre trois personnes engagées, qui choisissent de construire un lien commun, au-delà du duo traditionnel.

Cette forme de relation peut prendre différentes formes selon les individus impliqués :
• triade égalitaire, où chacun·e entretient un lien avec les deux autres,
• relation en « V », où une personne est en lien avec deux partenaires qui ne sont pas ensemble,
• ou structure évolutive, en fonction des besoins et des dynamiques du moment.

Un trouple demande :
• une communication claire et constante,
• des ajustements émotionnels et pratiques,
• et une grande transparence sur les attentes de chacun·e.

Comme dans toute relation polyamoureuse, l’intention, le respect et le consentement sont les piliers. Le trouple peut inclure la cohabitation, la parentalité ou tout projet commun, à condition que cela soit choisi, partagé et évolutif.


LAT – Living Apart Together

Déjà défini plus haut, ce modèle consiste à être en couple sans vivre ensemble.
Les raisons varient :

  • préserver son espace personnel,
  • éviter la cohabitation pour raisons professionnelles, familiales ou émotionnelles,
  • maintenir une certaine autonomie psychologique.


Cela peut aussi concerner des couples âgés ou ayant des enfants d’une précédente union, qui souhaitent éviter la recomposition.


Relations libres ou conscientes

La relation libre désigne une union où l’exclusivité, qu’elle soit sexuelle ou affective, n’est pas imposée. Elle peut être ponctuelle ou régulière, selon les besoins du lien.

Les relations conscientes, quant à elles, mettent l’accent sur :

  • la présence à soi et à l’autre,
  • une communication honnête, même sur les émotions difficiles,
  • une éthique relationnelle, où chacun·e s'engage à se connaître pour mieux aimer l'autre.


On parle aussi parfois de relation intentionnelle, où l’on choisit son lien plutôt que de le subir ou de le répéter.


Déconstruction des normes hétérocentrées et monogames

Pendant des siècles, le couple a été défini comme :

  • hétérosexuel,
  • monogame,
  • reproductif,
  • cohabitant,
  • durable à vie.

L’homosexualité et la bisexualité ont toujours existé, mais leur visibilité sociale, reconnaissance ou légitimation dépendait du contexte culturel, religieux et politique.
Ce ne sont pas des “exceptions modernes”, mais des formes d’amour et de désir profondément humaines et ancestrales.

Avec la colonisation, les religions monothéistes, et les normes européennes du XIXe siècle, ces diversités ont été censurées, criminalisées ou niées.
Les modèles binaires, hétérosexuels et monogames ont été imposés comme universels, au détriment des réalités vécues localement.

 

Aujourd’hui, ces normes sont questionnées, voire renversées.
On assiste à une ouverture vers :

  • les couples LGBTQIA+,
  • les relations queer, hors des rôles genrés traditionnels,
  • les formes non monogames consensuelles (polyamour, anarchie relationnelle...),
  • les nouvelles parentalités (co-parentalité sans couple, familles recomposées ou choisies).

La déconstruction n’est pas une destruction : c’est une reconquête du choix

Déconstruction des normes : hétérosexualité, monogamie, cohabitation, reproduction, …, ne sont plus les seules voies possibles.


Et vous ?
Quel modèle vous parle ? Lequel vous enferme ? Quel lien seriez-vous prêt·e à imaginer si aucun cadre ne vous était imposé ?Bas du formulaire